Avant
la création du monde, avant le commencement de toute chose, il n'y
avait rien, sinon UN ETRE. Cet Etre était un vide sans nom et sans
limite, mais c'était un vide vivant, couvant potentiellement en lui la
somme de toutes les existences possibles.
Le temps infini, intemporel, était la demeure de cet Etre-Un.
Il se dota de deux yeux. Il les ferma: la nuit fut engendrée. Il les rouvrit: il en naquit le jour.
La nuit s'incarna dans Lewrou, la Lune. Le jour s'incarna dans Nâ'ngué, le Soleil.
Le Soleil épousa la Lune. Ils procréèrent Doumounna, le temps temporel divin.
Doumounna demanda au temps infini par quel nom il devait l'invoquer. Celui-ci répondit: "Appelle-moi Guéno, l'Eternel."
Guéno
voulut être connu. Il voulut avoir un interlocuteur. Alors il créa un
oeuf merveilleux, comportant neuf divisions, et y introduisit les neufs
états fondamentaux de l'existence.
Puis il confia l'oeuf au temps temporel Doumounna. "Couve-le avec patience, lui dit-il. Et il en sortira ce qui en sortira."
Doumounna couva l'oeuf merveilleux et le nomma Botchio'ndé.
Quand
cet oeuf cosmique vint à éclore, il donna naissance à vingt êtres
fabuleux qui constituaient la totalité de l'univers visible et
invisible, la totalité des forces existantes et de toutes les
connaissances possibles.
Mais,
hélas, aucune de ces vingt premières créatures fabuleuses ne se révéla
apte à devenir l'interlocuteur que Guéno avait désiré pour Lui-même.
Alors,
il préleva une parcelle sur chacune des vingt créatures existantes. Il
les mélangea, puis, soufflant dans ce mélange une étincelle de son
propre souffle igné, il créa un nouvel Etre: Neddo, l'Homme.
Synthèse
de tous les éléments de l'univers, les supérieurs comme les inférieurs,
réceptable par excellence de la Force suprême en même temps que
confluent de toutes les forces existantes, bonnes ou mauvaises, Neddo,
l'Homme primordial, reçut en héritage une parcelle de la puissance
créatrice divine, le don de l'Esprit et la Parole.
Guéno
enseigna à Neddo, son interlocuteur, les lois d'après lesquelles tous
les éléments du cosmos furent formés et continuent d'exister. Il
l'instaura Gardien et Gérant de son univers et le chargea de veiller au
maintien de l'harmonie universelle. C'est pourquoi il est lours d'être
Neddo.
Initié
par son créateur, Neddo transmit plus tard à sa descendance la somme
totale de ses connaissances. Ce fut le début de la grande chaîne de
transmission orale initiatique.
Neddo, l'Homme primordial, engendra Kîkala le premier homme terrestre, dont l'épouse fut Nâgara.
Kîkala engendra Habana-Koel: "chacun pour soi".
"Chacun pour soi" engendra Tcheli: "Fourche de la route".
"Fourche
de la route" eut deux enfants: l'un, le "Vieil Homme" (Gorko - Mawdo),
représenta la Voie du Bien; l'autre, la "Petite Vieille Chenue" (Dewel
- Nayewel), représenta la Voie du Mal. Il en sortit deux postérités de
tendances contraires:
Le "Vieil Homme" engendra Neddo - Mawdo, l'
"Homme digne de considération", qui lui-même mit au monde quatre
enfants: "Grande Audition", "Grande Vision", "Grand Parler" et "Grand
Agir".
Sa soeur, la "Petite Vieille Chenue", engendra elle aussi quatre enfants: "Misère", "Mauvais sort", "Animosité" et "Détestable".
Comme
on le voit, c'est à partir de "Fourche de la Route", lui-même succèdant
à "Chacun pour soi", que les voies du Bien et du Mal se précisèrent.
Le "Vieil Homme" devint l'incarnation du Bien. La "petite vieille chenue" devint l'incarnation du Mal.
Njeddo
Dewal est une incarnation légendaire Peule de Dewel-Nayewel, la "Petite
Vieille Chenue", appelée Moussokoronin Koundjé par les Bambaras.
Ce
mythe de la création est commun à presque toutes les ethnies de la
savane en Afrique occidentale (ancien Bafour), avec des variantes
suivant les ethnies, les régions ou les conteurs, selon qu'ils veulent
mettre l'accent sur tel ou tel aspect de la création.
Les
Peuls possèdent par ailleurs un mythe de la création qui leur est
spécifique, fondé sur le symbolisme du lait, du beurre et du bovin.
Mais à l'époque ou ils furent vaincus par Soundiata Keïta (fondateur de
l'Empire du Mandé, ou Mali) et déportés du Nord au Sud, ils
s'incrustèrent si bien dans le système culturel du Mandé qu'ils
adoptèrent une partie de sa cosmogonie, à quelques variantes près, au
point qu'il n'est plus possible de faire le départ entre les
cosmogonies Peule ou Bambara. Les personnages clés du mythèe
appartiennent désormais à l'une et l'autre culture.
Pour
mieux s'intégrer à la société, les Peuls adoptèrent également quatre
Noms de clan (diamu en Bambara, yettore en Peul) afin de se conformer
au système quaternaire du Mandé. Les quatre clans Peuls sont donc des
emprunts. A l'origine, les Peuls n'avaient que des Noms de tribu: les
Bâ, par exemple, sont en fait des Wouroubé. Plus on s'écarte vers l'est
de la zone culturelle du Mandé et du delta Nigérien, moins on trouvera
de Peuls portant un Yettore; ils porteront le nom de leur tribu.
Comme
on peut le voir dans la généalogie qui descent de l'Homme primordial
(Neddo), à un certain moment l'unité est rompue. Deux voies
apparaissent : celle du Bien avec le "vieil Homme", et celle du Mal, du
désordre, de l'anarchie avec la "Petite Vieille chenue". La lutte entre
le bien et le mal est monnaie courante dans les récits de la tradition
Africaine, et par souci moral on fait toujours triompher le bien; en
fait, les deux principes sont inséparables et considérés comme
tellement unis qu'ils constituent l'endroit et l'envers d'un même rond
de paille.
L'Homme
étant le point de rencontre de toutes les influences et de toutes les
forces (en tant que résumé des vingt premiers êtres et réceptacle de
l'étincelle divine), le bien et le mal sont en lui. C'est son
comportement qui fera apparaître l'un ou l'autre. L'initiation va
consister, précisément, à remonter en soi-même chaque degré de cette
généalogie mythique afin de réintégrer l'état du Neddo primordial,
interlocuteur de Guéno et gérant de la Création, qui demeure latent en
chacun.
Neddo,
c'est l'homme pur, idéal. Le comportement parfait s'appelle neddakou,
c'est à dire ce qui fait un homme dans tous les sens du terme:
noblesse, courage, magnanimité, serviabilité, désintéressement.
Précisons que la notion de Neddo recouvre à la fois l'Homme et la
Femme, car on dit que Neddo contient en lui à la fois le masculin
(babba: père) et le féminin (inna: mère), respéctivement associés au
ciel et à la terre. L'état de neddakou, c'est l'état d'humanité
parfaite, à la fois masculine et féminine. L'initiation, dont on parle
souvent dans cet ouvrage, peut s'entendre de deux façons qui, en fait,
se complètent: il y a l'initiation reçue de l'extérieur et celle qui
s'accomplit en soi-même.
L'initiation
extérieure, c'est l' "ouverture des yeux", c'est à dire tout
l'enseignement qui est donné au cours des cérémonies traditionnelles ou
des périodes de retraite qui les suivent. Mais cet enseignement, il
faudra ensuite le vivre, l'assimiler, le faire fructifier en y ajoutant
ses observations personnelles, sa compréhension, son expérience. En
fait, l'initiation se poursuit tout au long de la Vie. Un adage Peul
dit : "L'initiation commence en entrant dans le parc, elle finit dans
la tombe."
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